MÉTALANGUE ET MÉTALANGAGE

MÉTALANGUE ET MÉTALANGAGE
MÉTALANGUE ET MÉTALANGAGE

MÉTALANGUE & MÉTALANGAGE

Toute science est tentée de se constituer un savoir sur les outils qu’elle emploie: dès lors que l’on parle, dans n’importe quel langage, sur un autre langage, il y a un phénomène de métalangage. Lorsque ce langage second est organisé lui-même et forme un tout, c’est une métalangue. Si Hilbert a nettement constitué la métamathématique, si les logiciens sont conscients des problèmes que pose pour la validité de leurs systèmes formels le recours obligatoire à la notion de métalogique, la question devient particulièrement épineuse lorsqu’il s’agit de parler, avec la langue usuelle, de la langue, celle qu’étudie la linguistique. Il ne faut pas confondre, en effet, l’usage métalinguistique de la langue, dans telle ou telle de ses parties, avec une métalangue proprement dite: qu’un énoncé tel que «Pierre, qui est un prénom masculin, est venu me voir ce matin» soit impossible, tout le monde voit bien pourquoi. C’est pour les mêmes raisons que ces jeux de mots d’écoliers du Moyen Âge étaient absurdes: Mus rodit caesum , mus est syllaba , ergo syllaba rodit caesum («La souris mange le fromage, mus est une syllabe, donc une syllabe mange le fromage»); on n’a pas le droit, dans le raisonnement, de faire conjointement usage du signifiant comme signe et comme partie du signe.

En contrepartie, l’autonymie est un procédé tout à fait ordinaire de la langue et Jakobson y a reconnu une des fonctions du langage, la fonction métalinguistique précisément: lorsqu’on dit, par exemple, «Lamartine emploie reine des nuits pour désigner la lune», on utilise non une expression liée à un contenu, comme dans les signes ordinaires, mais une expression liée à un ensemble expression-contenu, soit un signe. Toutes les unités discrètes peuvent se prêter à un emploi autonymique («ses r sont grasseyés», «le suffixe ble exprime une modalité», «un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », etc.). On aurait cependant intérêt, pour balayer toutes les confusions et, notamment, pour ne pas se laisser aller à un usage abusif de la notion de métalinguistique, qui ne serait que triviale dans ce sens (l’inventaire du «jargon»), à distinguer le métalangage réflexif, c’est-à-dire l’occurrence proprement dite, sous les espèces de son signifiant («La Fontaine dit la dame au nez pointu pour dire la belette»), et le métalangage non réflexif, c’est-à-dire le nom de la classe des occurrences («La Fontaine use d’une synecdoque pour désigner la belette»).

La notion de métalangue est fort critiquée. Elle l’est implicitement chez le philosophe rationaliste Alain («Qui saurait parfaitement sa langue saurait tout sur l’homme»: tout le dicible est dans la langue), explicitement chez Wittgenstein: le langage ordinaire est bien fait, pour peu qu’on l’éclaire et le purifie; parler sur le langage ordinaire est une aberration. On trouve une critique plus axée sur le désir chez Lacan, pour lequel il n’y a pas de discours qui puisse valablement se prendre pour son propre référent, car l’inconscient est formellement métonymique. La glossématique a élaboré une théorie assez poussée de la métalangue: ce qui est variante dans la langue générale devient invariant dans la métalangue et fonde, métalinguistiquement du moins, l’analyse de la substance. Mais l’analyse des conditions de production du discours amène à substituer aux confusions éventuelles qu’entraînerait la notion de métalangue celle de relation primitive, ou intégration d’un concept opératoire à un niveau d’analyse plus profond (notions de localisation, de modalité, etc.).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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